Écrire, c’est souvent chercher à comprendre ce que l’on vit, ce que l’on ressent, ce que l’on traverse. Certains auteurs vont plus loin encore : ils font de leur propre vie la matière première de leur fiction. C’est là que naît l’autofiction, ce genre littéraire à la frontière entre le réel et l’imaginaire, entre la vérité vécue et la vérité ressentie.
Souvent regardée avec fascination, parfois avec méfiance, l’autofiction interroge autant qu’elle séduit. Pourquoi ce besoin de se raconter ? Et comment ce récit intime peut-il toucher à l’universel ?
1. Qu’est-ce que l’autofiction ?
Le terme a été inventé par l’écrivain Serge Doubrovsky en 1977, pour qualifier son roman Fils. Il parle alors de « fiction d’événements et de faits strictement réels » : un récit où l’auteur, le narrateur et le personnage principal portent le même nom, mais où l’invention reste présente.
Autrement dit, l’autofiction n’est pas une autobiographie. Elle n’a pas pour vocation d’être factuellement exacte. Elle est traversée par la subjectivité, la réinvention, parfois même par le flou volontaire. Ce n’est pas un témoignage, c’est une mise en récit de soi.
2. Écrire pour se comprendre
Le premier moteur de l’autofiction, c’est souvent l’introspection. L’auteur écrit pour chercher du sens, mettre de l’ordre dans le chaos, revisiter une blessure, une transformation, une mémoire.
C’est une forme d’exploration. À travers l’écriture, l’auteur devient à la fois acteur et observateur de sa propre vie. Il décortique ses émotions, rejoue des scènes, imagine des « et si »… Il se regarde, parfois sans complaisance, souvent avec une grande sincérité.
Et c’est cette sincérité qui crée le lien avec le lecteur.
3. De l’intime à l’universel
Ce qui est paradoxal — et magnifique — dans l’autofiction, c’est que plus l’auteur est personnel, plus il touche à quelque chose d’universel. En racontant son chagrin, ses doutes, ses colères ou ses émerveillements, il rejoint des expériences que chacun peut reconnaître.
Les grandes thématiques de l’autofiction sont profondément humaines : la famille, le deuil, l’amour, la solitude, la quête de sens, les rapports au corps ou au genre, les origines, les blessures d’enfance… Ce sont des récits de vie, mais aussi des miroirs pour le lecteur.
4. Le juste équilibre entre vérité et fiction
L’un des défis de l’autofiction, c’est d’assumer cette zone grise entre le vrai et le romancé. Trop proche du journal intime, le récit peut manquer de souffle narratif. Trop fictionnalisé, il peut perdre l’authenticité qui en fait la force.
Il ne s’agit pas d’expliquer ou de tout dire, mais de mettre en forme. De choisir un ton, une voix, une structure. De créer une cohérence littéraire, même si la vie ne l’est pas toujours.
L’autofiction réussie, c’est celle qui trouve cette tension fertile entre l’émotion brute et la maîtrise de l’écriture.
5. Un genre libérateur, mais exigeant
Pour l’auteur, se livrer ainsi peut être libérateur, voire thérapeutique. Mais cela demande aussi du courage. Il faut oser dire, oser montrer. Parfois, il faut aussi protéger : changer les noms, brouiller les repères, prendre de la distance.
Et pour le lecteur, l’autofiction devient souvent une rencontre. Non pas avec une histoire spectaculaire, mais avec une parole juste, incarnée, profondément humaine. C’est une littérature de la vulnérabilité, mais aussi de la force retrouvée.
Le roman autofictionnel est un territoire fascinant, à la fois intime et ouvert sur le monde. Il montre que l’on peut transformer le vécu en art, la mémoire en matière littéraire, la douleur en partage.
C’est une écriture du « je », mais qui parle à tous.
Dans une époque où l’on cherche de plus en plus de récits vrais, sensibles et incarnés, l’autofiction a encore de beaux jours devant elle.